Un an après le fiasco des Bleus en Afrique du Sud, Jean-Pierre Doly sort de son silence. Issu du monde de l’entreprise, celui qui a été pendant 10 ans, conseil en management et RH du staff de l’équipe de France de football, s’explique sur son rôle contesté. Rencontre avec celui que les médias ont appelé le coach du coach.
Après l’échec de la Coupe du monde en 2010, les médias ne vous ont pas épargné. Vous n’avez jamais semblé vouloir répondre à la presse…
Je pense que mon rôle a intrigué vos collègues de manière générale. Comme je ne parlais pas, ils ont comblé le vide. Si l’équipe avait gagné on m’aurait laissé tranquille. De là, à être l’un de ceux à qui faire porter le chapeau du fiasco sud-africain… A l’époque, je n’avais pas le droit de parler. J’avais en effet une clause de confidentialité dans mon contrat. Je l’ai clairement dit aux journalistes : ils n’ont pas voulu l’entendre. De la même manière, ils n’ont rien voulu entendre quand je leur ai dit à plusieurs reprises que je n’étais pas le coach du coach, ni le gourou… Ceci dit même si j’avais eu le droit de parler, je n’aurais pas dit grand-chose car ça ne les intéressait pas. Ce qui les intéressait c’est le people, l’anecdote sur les joueurs. Le boulot que je faisais avec le staff ou avec les entraîneurs ils s’en moquaient. Début 2010, Raymond m’a signé un papier m’autorisant à parler de ce que j’ai fait avec le staff à l’exclusion de ce que j’ai pu voir ou entendre avec les joueurs.
Comment avez-vous commencé à travailler pour la Fédération française de football (FFF) ?
Quand il était directeur technique national, en 2001, Aimé Jacquet m’a demandé de réfléchir à des formations au management et gestion des RH pour les entraineurs. J’ai organisé et animé des sessions de formation étalées sur un an pour les 35 directeurs des centres de formation. C’étaient pour la plupart d’anciens joueurs ou entraineurs qui, du jour au lendemain, étaient parachutés patrons d’une PME de 50 à 100 personnes (de l’apprenti footballeur au cuisinier en passant par des professeurs, entraineurs, personnel administratif…) selon les clubs et avec des budgets de 5 à 10 millions d’euros. J’ai monté des modules visant à combler leurs lacunes sur le plan du management, de l’organisation, de la formation de leurs collaborateurs en partant de leurs expériences et de leurs difficultés. Soit ils mettaient davantage l’accent sur la partie »bureau, gestion » et en oubliaient le terrain, soit ils restaient sur le terrain dont ils sont issus et en oublient le côté administratif et gestion. Au risque de se planter. J’ai aussi monté des séminaires de management et RH pour les directeurs et conseillers techniques régionaux sur deux ans et j’ai aidé à la refonte du programme du DEPF (diplôme d’entraineur professionnel de football)… J’ai fait cela pendant 4-5 ans.
Et ensuite, vous êtes devenu indispensable ?
Oh que non ! Mais simplement après les victoires de 1998 et 2000, il y eu la catastrophe de 2002 [NDLR : la France est éliminée au 1er tour de la Coupe du Monde]. En 2004, elle est éliminée au Championnat d’Europe au 2è tour. Aimé Jacquet m’a alors demandé de l’aider à travailler sur un argumentaire pour démontrer au conseil fédéral et à l’assemblée générale qu’en toute logique, le prochain sélectionneur des A devait venir de la DTN. Concrètement, j’ai travaillé avec Aimé sur le thème » Comment gagner le mondial 2006 ? » Ce travail lui a plu. Il a réussi à convaincre le conseil fédéral qu’il fallait que le prochain sélectionneur soit un membre de la DTN et, aurait-il dit, » le meilleur d’entre nous « . Sans citer de nom, tout le monde a reconnu de qui il parlait. Il se trouve que le sélectionneur des Espoirs mais surtout le responsable de la formation au DEPF était un certain Raymond Domenech depuis une dizaine d’années. Quelques jours après, il était nommé sélectionneur national. On est en juillet 2004. Il y avait une pression médiatique pour que ce soit Tigana ou Blanc. Aimé Jacquet m’a alors dit : » il va falloir que tu l’aides « .
Mais du coup vous étiez bien son coach ?
Non ! Je ne me suis occupé que du staff. Dans ma carrière, j’ai été à la fois DRH et DG. Un DRH doit être un peu complice, confident de son DG. En tous cas, c’est comme ça que je l’ai vécu à la fois chez Renault et chez Danone. Considérant que Raymond Domenech était le patron, j’ai eu des discussions avec lui sur ce que j’allais proposer de faire avec son staff comme s’il s’agissait de l’équipe dirigeante d’une entreprise. Mais de là à être coach, éminence grise, spin doctor… Ce n’est pas vrai.
Mais quelle différence faites-vous donc entre un coach et un conseil ?
Le coach accompagne individuellement un individu dans ses fonctions, sa vie professionnelle… c’est un métier qui requiert une formation, ce n’est pas le mien. Personnellement, je fais du conseil en management et en gestion des Ressources Humaines : j’interviens surtout sur le plan collectif. J’ai par exemple récemment organisé et animé une équipe projet qui va construire une nouvelle usine automobile au Maghreb. La problématique est que 30 personnes qui ne se connaissaient pas (3 Japonais, 2 Anglais, 4 Espagnols, des Français…) arrivent à travailler ensemble du jour au lendemain. Une semaine pour organiser tout cela c’est très comparable avec ce que j’ai fait avec le staff de l’équipe de France. Pas plus que je n’ai vu les joueurs, je n’ai jamais vu les ouvriers de l’usine. Je ne sais même pas ce qu’ils vont faire dans le détail.
Etiez-vous alors le DRH de l’équipe de France de football ?
Non plus. Je n’ai jamais recruté un membre du staff et encore moins les joueurs, contrairement à ce que certains ont osé écrire… Raymond a sélectionné son staff seul. A partir de là, mon rôle s’est exclusivement consacré à faire en sorte que ce projet » gagner le Mondial 2006 » se déroule dans les meilleures conditions côté organisation et formation, et ce pendant 6 ans, avec un plus gros travail au départ (entre 2004 et 2006). C’est d’ailleurs ce qui est consigné dans mon contrat avec la fédération. Le staff était composé de 23 personnes de 30 à 60 ans : le sélectionneur, trois adjoints, un préparateur physique, un médecin, 3-4 kiné selon les épreuves …, 2 cuisiniers, un représentant du Conseil Fédéral et un de la Ligue Professionnelle de Football, une personne du marketing de chez Adidas, un Monsieur sécurité (un commandant de CRS détaché du ministère de l’intérieur pour la sécurité et les déplacements de l’équipe de France…), un attaché de presse, des responsables informatique , vidéo et photos, un intendant, un responsable des équipements, un responsable administratif ,… A l’image d’une équipe projet pluridisciplinaire en entreprise, avec une particularité : cette équipe est constituée d’ » intermittents de l’Equipe de France « . Tous ces gens-là sauf le sélectionneur ont un métier à côté. Ils se réunissent quand il y a un rassemblement de l’équipe. Ils ont donc peu de temps : il faut l’optimiser.
Dans ce cas, que faisiez-vous ?
Un mois après la nomination de Raymond Domenech, en août 2004, en présence d’Aimé, les 23 personnes ont été réunies à Clairefontaine pour deux jours de séminaire. J’ai fait ce que fait un consultant en entreprise. Ce mode de fonctionnement est un peu particulier : lors d’un rassemblement court (un seul match), le groupe vit ensemble 24 heures sur 24 du lundi matin au mercredi soir. Mais cela peut aller aussi jusqu’ à vivre 7 semaines ensemble comme en Allemagne en 2006. [NDLR : finale perdue contre l’Italie]. On s’est tous présentés autour d’une table, on a défini les fonctions de chacun, préparé des plannings, des tableaux (qui fait quoi ? quand ?)…. pour qu’il n’y ait aucun raté dans l’organisation, les déplacements, les équipements. Le cuisinier doit s’entendre avec le toubib sur l’aspect nutritionnel, les kinés avec le préparateur physique, etc…. J’organisais des réunions à chaque rassemblement : le lundi, brief de ce qui va se passer pendant trois jours, et le jeudi : débrief sur ce que l’on peut améliorer… Le coach de l’équipe, c’était le sélectionneur : Raymond. Ma mission c’était de faire en sorte que les joueurs ne puissent pas reprocher au staff d’avoir failli, d’avoir manqué quelque chose. Autant si l’on gagnait ce ne n’aurait pas été grâce à la bonne organisation du staff, autant une défaite pourrait lui être attribuée. Si ce que nous avions fait ne correspondait pas à ce qui était attendu, je pense que j’aurais pu être viré avant.
En tant que sélectionneur Raymond Domenech était donc là…
Tout le temps. C’est un membre du staff. Parfois, à sa demande, je ne l’ai pas intégré dans des réunions de sous-groupes… mais la plupart du temps il était là. Il a d’ailleurs pu s’inspirer de certains de ces exercices pour les proposer aux joueurs. Un jour, j’ai passé un film au staff. Raymond me l’a demandé. Il l’a utilisé seul ! Quand un DG dit à son DRH passe-moi le topo que tu as fait, le DRH ne sait pas nécessairement ce qu’il va en faire, que ce soit avec ses actionnaires, ses homologues ou d’autres boites… C’est pareil.
Mais n’aviez-vous pas des contacts directs avec les joueurs ?
Bien évidemment, quand il y avait des rassemblements à Clairefontaine, les joueurs me voyaient. Mais je n’ai pas été confronté directement à eux sauf à deux reprises. La première fois, en 2007, Raymond m’a demandé d’intervenir sur le management interculturel comme je l’avais fait chez Renault : alphabétisation pour les immigrés et stages » ethnies » pour l’encadrement. Il m’a dit » ce sont quelque part des ambassadeurs de la France à l’étranger à deux titres : ils jouent dans des clubs à l’étranger et moi je les sélectionne pour porter le maillot de l’équipe de France. Il faut leur faire comprendre ce que ça implique : il y a des droits, des devoirs, des conséquences… » Je les ai sensibilisés aux conséquences de vivre dans des pays, des civilisations, des cultures différentes en abordant aussi les causes et conséquences de l’immigration. Je suis convaincu que c’est l’ignorance qui peut entrainer discrimination voire racisme. J’ai essayé de leur montrer que c’est une richesse d’avoir ces différences, cette diversité. Nous avons eu, avec le staff et les joueurs, une discussion un soir après le diner sur ces sujets-là. La 2nde fois, c’était un soir à Tignes, juste avant de partir en Afrique, là encore à la demande de Raymond. Je ne leur ai parlé au total que 2 fois 2 heures pendant 6 ans.
Comment ont réagi les joueurs ?
En 2007, Lilian Thuram m’a dit : » vous êtes fort de faire ça. C’est super mais il faudrait le faire plus tôt dans les écoles. » Ce qu’il fait maintenant d’ailleurs. Je montre – par exemple – la carte d’Afrique des ethnies et je la compare avec la carte d’Afrique avec ses frontières actuelles : ce qui explique un grand nombre de tensions. Je leur donne des informations objectives : l’origine des patronymes, l’identité, les langues ou dialectes. Les parents de certains membres du staff sont originaires des premières immigrations (Italie, Espagne, Portugal, Pologne…). Beaucoup d’Antillais et de joueurs d’origine africaine sont venus me poser des questions… A part ça, je n’ai jamais assisté à une causerie de Raymond avant les matchs, ni à la mi-temps : je n’allais pas dans les vestiaires.
En Afrique du Sud, Raymond Domenech semble avoir eu de réels problèmes de management avec ses joueurs qui refusaient par exemple, selon lui, d’aller aux conférences de presse.
Personnellement, je n’ai jamais vu un joueur ne pas vouloir aller en conférence de presse…
Il admet pourtant avoir été dépassé… N’étiez-vous pas là pour le conseiller ?
En Allemagne et en Suisse j’ai été invité pour les matchs et j’ai fait des allers retours en prenant sur mes congés. Pour l’Afrique du Sud, il n’était pas du tout prévu que j’y aille, Raymond m’a demandé à Tignes si je pouvais me libérer pour accompagner le groupe du staff. Bien évidemment là aussi en prenant sur mes congés et en n’étant pas rémunéré ! J’ai eu des discussions avec lui. J’ai même essayé de faire passer le message que je pouvais jouer un rôle… Il ne m’a rien demandé. Mais je n’étais pas là pour ça. Par principe, je n’intervenais pas du tout pendant les compétitions. Il y aurait eu un incident avec les membres du staff peut-être aurais-je pris l’initiative d’intervenir. Mais pas avec les joueurs. Je vérifiais quand même un peu sur place que tout ce qu’on avait prévu avant se réalisait bien. Mais on ne pouvait pas prévoir une grève !
Ce jour-là vous avez dû bouillir sur place ?
En effet. Mais que vouliez-vous que je fasse là-dedans ? A la sortie de la Une de l’Equipe, il y a eu un branle-bas de combat… qui est monté très haut. Il y avait deux ministres sur place. Le Président de la République à reçu Thierry Henry à l’Elysée… Et puis, je n’ai jamais vu un patron lire un tract des syndicats devant des ouvriers grévistes ou devant des journalistes. [NDLR : Lors de la grève des joueurs à Knysna, Raymond Domenech a lu devant la presse la lettre des joueurs grévistes] Mais il faut aussi comprendre le contexte : Il en avait ras-le-bol ! Je ne suis pas son conseiller. En entreprise, on aurait fait une réunion de crise.
Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas expliqué ?
J’insiste : je n’avais pas le droit de parler. Avec du recul, j’aurais peut-être dû demander l’autorisation de la Fédération. Au retour, j’ai lu des choses aberrantes notamment sur les aspects financiers. J’étais rémunéré pour la préparation et l’animation de réunions ou sessions de formation conformément à mon contrat et au marché.
Le monde du football est impitoyable…
On peut gagner ou perdre, c’est la loi du sport mais quand même je m’interroge : comment certains ont-ils pu aller aussi loin dans la critique de Domenech sans tenir compte du fait qu’en 2006, lors de la Coupe du Monde, à quelques centimètres ou minutes près l’équipe a frôlé la victoire : que dirait-on aujourd’hui ? Dans l’entreprise aussi, vous avez des hauts et des bas, mais on tient compte de la durée et de l’histoire. En tous cas même si cette expérience s’est plus mal terminée qu’elle n’avait commencée, je n’en n’ai pas moins vécu une formidable aventure humaine.
(Propos recueillis par Nathalie Samson et Marie-Madeleine Sève pour L’Entreprise.com, publié le 20/06/2011)